mardi 12 janvier 2010

Le comptoir de la BD

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04 janvier 2010
Ultime chevauchée pour Tibet



La nouvelle clôt bien tristement la période festive de Noël et de la Saint Sylvestre : le dessinateur-scénariste Tibet (né Gilbert Gascard en 1931), papa de deux séries majeures au Lombard, Chick Bill et Ric Hochet, vient de s’éteindre à 78 ans.


Il a à son actif plus de 150 albums, dont quasiment 70 dans la première série et près de 80 dans la seconde, s’il vous plaît, plus quelques autres titres plus anecdotiques.


Prolifique, reconnaissable avec son trait sans fioriture, élégant, en un mot classique, Tibet ne détonnait pas et réalisait une BD de papa, sympatique et généreuse, comme on parle avec tendresse et un sourire ravi de cinéma de papa.


Adepte d’un humour bon enfant, ses jeux de mots bien que basiques ont été nourris notamment auprès de Greg, le truculent créateur d’Achile Talon, dessinateur-scénariste lui aussi de premier plan, qui fut longtemps le rédacteur en chef du Journal de Tintin.


Tibet était lié aux éditions du Lombard, auxquelles il n’a fait qu’une ou deux infidélités sans gravité (comme les deux récents tomes de sa nouvelle série Aldo Rémy chez Glénat) et fut l’un des piliers du Journal de Tintin justement, où la figure d’Hergé exerçait sur lui une ascendance importante, notamment quand il était encore ado.
A l’époque, le père de Tintin lui avait donné des conseils qu’il s’est appliqué à respecter toute sa vie, comme le rapporte Didier Pasamonik dans l’article hommage qu’il vient de lui adresser sur le site ActuaBD.
Article que je vous recommande à lire pour les premiers mots émouvants d’André-Paul Duchâteau, scénariste de Ric Hochet depuis 53 ans, et ami de Tibet.




Je vous parlais récemment d’un ouvrage formidable qui retraçait la carrière d’Yvan Delporte.
Tibet y était l’une des voix témoin, il y racontait notamment sa complicité avec la bande à Franquin, son amitié pour le papa de Gaston, l’amicale rivalité entre les équipes de Tintin et de Spirou…


Numa Sadoul, auteur d’ouvrages d’entretiens de référence avec des auteurs majeurs, ami de Tibet et de Franquin justement, a accepté mon invitation de témoignage. Voici ce qu’il écrit brièvement :
“Tibet était un tendre. Un vrai. Et aussi un vrai rigolo. Comment est-ce conciliable ? Je n’en sais rien. On a fait des bouffes hilarantes avec le couple Tibet et le couple Franquin. Et depuis la mort de ce dernier, Tibet avait l’habitude de pleurer à chaudes larmes en pensant à notre ami. J’ai dévoré les premiers albums de “Chick Bill”, lorsque les personnages étaient encore des animaux. Il y avait tout Tibet là-dedans : l’humour et la tendresse. Je n’ai au fond jamais pardonné à l’auteur d’avoir humanisé sa série, pour complaire au souhait de Hergé. Mais ce n’était pas vraiment important et je suis resté fan de “Chick Bill” jusqu’au bout. “Ric Hochet” m’attirait moins, à cause de son côté réaliste.“


Tibet a créé l’un des tandems les plus percutants de la BD, le bilieux chauve moustachu Dog Bull et le divin imbécile Kid Ordinn, qui étaient bien sûr les véritables héros de la série Chick Bill, tant ce dernier, preux cowboy gominé, est stéréotypé et lisse, peu aidé et mis en valeur par ailleurs par le transparent bien que valeureux indien Petit Caniche.


Mais c’est la loi du genre d’avoir des faire-valoir carrés et immédiatement identifiables (Tintin et Spirou, pour n’en citer que deux) qui permettent à des Haddock et des Fantasio de s’exprimer avec truculence et d’éclater dans des scènes d’anthologie. Tibet avait un vrai talent pour créer des gueules, ses très nombreux albums en sont truffés.
Artisan du dessin bien plus que machine à produire, personnalité attachante jusque dans sa représentation dans ses albums : longtemps, sur le quatrième de couverture des albums de Chick Bill, Tibet s’affichait himself déguisé en cowboy. Enfant, je me disais que ça devait être super cool de faire de la BD si on nous autorisait à nous déguiser au travail !


Plus tard, j’ai rapproché cette photo du film de Jacques Brel, le Far-West, parabole sur l’accomplissement de soit et l’aboutissement des rêves d’enfant, qu’ils soient d’astronaute, de pompier, de cowboy ou d’indien. Quelque chose me dit que la fidélité de Tibet à ses séries est la preuve que son far-west il l’a atteint très tôt et s’y est trouvé bien.







Le 70ème album de Chick Bill, Qui veut gagner des Filons, sort le 15 janvier au Lombard. Rien de tel pour réaliser combien Tibet nous manque déjà, lui qui était sans conteste l’un des auteurs les plus prolifiques et les plus discrets de la BD franco-belge. Que ce petit billet soit pour moi l’occasion de saluer avec amitié et respect les siens, proches et amis.


Sébastien NAECO


(illustrations : portrait de Tibet (c) Laurent Mélikian - Le Lombard 2005 ; couverture du tome 75 de Ric Hochet, code pour l’au-Delà (sans volonté d’humour noir, un titre sur deux de la série se rapporte à la mort ou au mal !) par Tibet et Duchâteau ; couverture du dernier tome de Chick Bill, par Tibet, éditions du Lombard)


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